L'Économie Sociale et Solidaire
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NOVEMBRE 2017 - LE MOIS DE L'ESS |
Introduction - L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
Si l’économie s’interroge sur les comportements des hommes dans leurs décisions, leurs choix face à une situation de rareté (Lionel ROBBINS - Essai sur la nature et la signification de la science économique, 1932) l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) y répond sans suivre la logique capitalistique tout en s’inscrivant sur le marché. Avec 10 % du PIB et 12,7 % de l’emploi privé en France (2,3 millions de salariés – soit près d’un emploi sur huit), l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) représente un secteur important et en fort développement avec une création de 440 000 emplois (principalement dans le secteur associatif) ces dix dernières années. L’ESS n’est pas une notion récente mais face aux défis actuels tels que le commerce équitable, la santé, la protection de l’environnement ou bien encore la lutte contre l’exclusion ou encore l’égalité des chances, elle a pris de une nouvelle forme pour aider à les relever afin de promouvoir une « autre économie » (Etas généraux de l’ESS – 2011).
Composition de l’économie sociale en 2016 (en valeur et %)
Sources : ACOSS-URSSAF et MSA – Traitement R & S. Les données sont présentées à l'unité près, mais doivent être lues en tenant compte de la marge d'erreur inhérente à tout recensement.
Évolution comparée de l'emploi de l'Économie Sociale et du secteur privé (hors ES)
Sources : ACOSS-URSSAF et MSA – Traitement R & S. Lecture: les valeurs sont calculées en base 100 (2008).
Le secteur présente d’abord une forte baisse en 2009, suite à la crise économique et financière mais par un « effet retard », lié à sa moindre exposition directe à la conjoncture économique, il a pu poursuivre sa progression pendant les deux années 2009 et 2010. Au-delà, l’évolution a été faible, mais réelle, avec une belle accélération en 2014. Fin 2016 le secteur de l’économie sociale a vu ses effectifs progresser nettement, quand le secteur privé (hors ES) se situe au même niveau qu’en 2008.
DÉFINITIONS et HISTORIQUE DE LA NOTION
L’Economie sociale et solidaire naît de la synthèse de deux concepts
L’économie sociale est la base du fondement historique de l’ESS. Les premières expériences de coopératives de collecte et de transformation de produits laitiers remontent au XIIIe siècle, avec les fruitières du Jura et de Franche-Comté, mais l’économie sociale se structure avec la révolution industrielle qui bouleverse les rapports économiques et sociaux. La question de la solidarité apparaît rapidement comme essentielle.
Une autre approche émerge également, une entraide et une auto-organisation des personnes qui partagent un destin commun bien qu’interdite jusqu’en 1884 par la loi Le Chapelier et le décret d’Allarde (1791), qui prohibaient les organisations ouvrières (notamment les corporations de métiers et tout type d’organisation de solidarité entre ouvriers).
Malgré ces interdictions, de nombreuses initiatives ont réussi à voir le jour comme les sociétés de secours mutuel (nos mutuelles d’assurance actuelles), qui visent à prendre en charge collectivement des besoins fondamentaux tels que les pensions de retraite ou d’invalidité, logement, que leurs membres ne peuvent assumer seul compte tenu de leur situation (travailleur pauvre, invalide, à la recherche d’un emploi …).
L’économie sociale nait donc de la nécessité car elle provient d’une volonté de réduire les inégalités, de compenser les effets néfastes de la révolution industrielle et d’inventer des relations économiques plus équitables. L’économie sociale met aussi en avant les libertés des individus par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association tout en permettant l’action collective dans un but autre que le partage des bénéfices. Aujourd’hui les associations représentent le socle de l’ESS. En parallèle de la structuration de l’économie sociale, une pensée politique s’est progressivement imposée, à la croisée du mouvement ouvrier, du socialisme utopique (Charles Fourier, Pierre-Joseph Proudhon) et du christianisme social (en particulier Frédéric Le Play). C’est Charles Gide (1847-1932), le théoricien du mouvement coopératif français, qui, à partir de 1886, développe le concept d’une économie sociale fondée sur la solidarité
Ensuite, au cours de la première moitié du XXe siècle, la notion se fragmente et les différentes structures coopératives, mutualistes et associatives se développent de manière indépendante.
On assiste à un retour de l’économie sociale à la fin des années 1970 sous l’impulsion de Michel Rocard qui souhaite une nouvelle forme de production de richesses distincte des modèles capitaliste et communiste. Il réinvente le concept d’économie sociale, sans véritable référence à la tradition historique, et créé le 15 décembre 1981 la Délégation interministérielle à l’économie sociale qui fut le maitre d’œuvre de la loi du 20 juillet 1983 qui constitue le fondement juridique de l'économie sociale.
L’économie solidaire émerge dans les années 1970 dans un contexte marqué par la crise économique et le chômage pour faire face à l’exclusion d’une partie de la population. Elle prend la forme de régies de quartiers, associations intermédiaires, entreprises d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion.
Se basant sur le principe que « nul n’est inemployable », les entreprises d’insertion par le travail proposent des solutions concrètes pour embaucher ceux qui sont exclus de l’emploi.
Au cours des années 1990, la notion d’économie solidaire s’est élargie à toutes les pratiques économiques qui ont pour but commun de renforcer le lien social, par exemple dans le secteur des services aux personnes, du commerce équitable, de la protection de l’environnement, etc. La reconnaissance institutionnelle s’est traduite par la nomination en 2000 du premier secrétaire d’État à l’Économie solidaire, l’écologiste Guy Hascoët, en fonction jusqu’en 2002.
L’économie solidaire ambitionne de servir l’intérêt général et pas simplement l’intérêt collectif de ses membres
D’autre part, l’économie solidaire propose d’autres façons de produire, de consommer et d’échanger, comme le commerce équitable ou le maintien d’une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement et se structurent autour d’Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ou encore de Système d’échanges locaux (SEL).
Ces initiatives concernent donc de nombreux secteurs tels que l’environnement, les services à la personne, les technologies de la communication, ce qui montre que l’économie solidaire est une dynamique militante et non un secteur économique précis afin de renforcer la démocratie représentative en développant la démocratie participative et en démocratisant la sphère économique.
En 2001, Jean-Louis Laville donne sa légitimité au concept intégrateur d’économie sociale et solidaire dans un article de la Revue internationale de l’économie sociale (RECMA), « Vers une économie sociale et solidaire ? ». Selon lui, « l’économie sociale comme l’économie solidaire ne prennent sens que par rapport à une économie plurielle, c’est-à-dire une économie ne se réduisant pas à la société de capitaux et au marché, dans laquelle plusieurs logiques économiques peuvent se déployer».
Ces deux mouvements sont ainsi complémentaires, l’économie solidaire a su donner un nouveau souffle aux valeurs défendues par l’économie sociale : une économie au service de l’homme et non au service du profit et se retrouve dans la définition retenue par la loi relative à l'économie sociale et solidaire adoptée le 31 juillet 2014 (dite « loi ESS » ou loi Hamon) qui donne une reconnaissance institutionnelle au secteur. « L’économie sociale et solidaire est un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions cumulatives suivantes : 1° Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ; 2° Une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ; 3° Une gestion conforme aux principes suivants : a) Les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ; b) Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées. »
Les différences entre économie sociale et économie solidaire
Bien que l’économie sociale et l’économie solidaire ont des traits communs comme le fondement dans l’associationnisme ouvrier et partage la volonté d’une transformation sociale alternative au capitalisme, ces deux notions sont quelque peu différentes.
La première différence se trouve dès la notion de la production. Ainsi, l’économie sociale cherche à produire autrement sans forcément remettre en cause la relation entre la production et la richesse collective alors que l’économie solidaire se place dans une critique forte du productivisme. De plus, leur vision du marché est différente, l’économie sociale s’inscrit complètement dans l’économie de marché tandis que l’économie solidaire cherche au contraire à s’en extraire. On retrouve ainsi l’articulation entre le marché et la démocratie. Enfin, la dernière différence se trouve dans la finalité poursuivie. Dans l’économie sociale, on retrouve le principe de double qualité mis en évidence par Jean-François Draperi (2007), où le producteur et le destinataire du bien et du service sont généralement membres de l’organisation. La finalité d’une organisation de l’économie sociale est ainsi l’intérêt collectif de ses membres, tandis que la finalité d’une organisation d’économie solidaire va plus loin en recherchant que l’intérêt général, donc au-delà de l’organisation.
LES PRINCIPES DE L’ESS
L’économie sociale se définit par les statuts des structures qui la composent : associations, coopératives, mutuelles et fondations. Elles défendent la priorité de l’homme sur le capital et impliquent une gestion collective des organisations. Les principes sont repris dans la définition du 31 juillet 2014 dans leur fonctionnement interne et dans leur finalité.
Toutes les entreprises de l’ESS devront respecter les principes suivants : - poursuivre un but autre que le seul partage des bénéfices ; Ces structures reposent sur des valeurs et des principes communs comme l’utilité sociale, la coopération, l’ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. L’économie sociale (avec le principe un homme une voix) et l’économie solidaire (avec sa revendication d’une économie citoyenne) placent la question démocratique au cœur de leurs pratiques économiques.
- la majeure partie des bénéfices devra être consacrée à développer l’activité de l’entreprise. Les organisations de l’ESS sont des organisations à but non lucratif, c’est-à-dire que bien que leur but (c’est-à-dire l’objet social qui est traduit dans leurs statuts) ne soit pas de faire des profits, elles en réalisent ce qui garantie leur bonne gestion et leur permet d’assurer leur pérennité. Néanmoins, contrairement à une entreprise classique, les bénéfices réalisés ne sont pas reversés au profit d’une seule personne ou d’actionnaires, mais réinjectés dans le projet collectif et distribués équitablement. Ainsi, cette performance économique est pour les entreprises sociales et solidaires un moyen et non une fin. La loi du 31 juillet 2014 prévoit que les bénéfices soient en totalité ou majoritairement réinvestis dans l’entreprise, et la rémunération des actionnaires, quand elle existe, est limitée. La répartition des bénéfices est possible mais encadrée par plusieurs règles : - une obligation de mise en réserve à hauteur de 20 % des bénéfices de l’exercice (réserve statutaire obligatoire, dite « fonds de développement ») ; - le prélèvement d’une fraction définie par arrêté et au moins égale à 50 % des bénéfices de l’exercice est affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obligatoires. - leur gouvernance doit être démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant la participation, dont l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés et parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ;
Ces organisations sont des sociétés de personnes qui appartiennent à leurs membres et non des sociétés de capitaux qui sont détenus par des actionnaires. Cette différence se ressent alors dans le pouvoir de décision, qui n’est pas proportionnel au capital détenu mais qui respecte le principe démocratique selon la règle « une personne, une voix ».
Les statuts garantissent cette règle, tout en la nuançant. Ainsi le statut de « société coopérative et participative » (SCOP), privilégie les salariés, tandis que le statut associatif les écarte le plus souvent de la gouvernance pour favoriser ses membres. Enfin, les bénéficiaires peuvent occuper une place centrale dans la gouvernance de l’entreprise comme dans le cas dans les mutuelles d’assurance ou de santé, en vertu de la notion de « double qualité » : l’assuré (bénéficiaire de la prestation d’assurance) est également assureur puisque l’assemblée générale et le conseil d’administration sont composés exclusivement d’usagers (sociétaires) de la mutuelle.
LES STRUCTURES DE L’ESS
Le périmètre de l’ESS selon la loi du 31 juillet 2014 est une définition inclusive qui prend en compte à la fois la diversité des acteurs de ce secteur, et les principes fondateurs qui les fédèrent. Selon cette loi, l’ESS regroupe :
- les acteurs historiques « statutaires » qui, en raison de leur apport historique au développement du secteur, en font partie de droit ; il s’agit des :
Mutuelles : Organismes autogérés à but non lucratif et financées par les cotisations de leurs adhérents, les mutuelles opèrent dans les secteurs de la prévoyance et de l’assurance (couverture complémentaire à la Sécurité Sociale, actions de prévoyance, de solidarité et d’entraide). Coopératives : Les coopératives sont des sociétés constituées par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satisfaire à leurs besoins économiques ou sociaux par leur effort commun et la mise en place des moyens nécessaires. Elles sont gouvernées selon un principe démocratique et leurs excédents sont prioritairement mis en réserve pour assurer son développement et celui de ses membres. Associations : Les associations sont reconnues en France depuis la loi du 1er juillet 1901. Elles sont définies comme des groupements de personnes librement réunies dans un but déterminé, pour la défense d’un intérêt commun autre que le partage de bénéfices. Fondations : Très présentes dans le monde anglo-saxon, les fondations sont des groupements de biens affectés irrévocablement et à titre gratuit par des ménages ou des entreprises à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général, à caractère durable et non lucratif.
- les sociétés commerciales qui poursuivent un but d’utilité sociale et qui partagent un certain nombre de principes de l’ESS posés par la loi.
Les entreprises qui souhaitent se dire « entreprises de l’ESS » devront inscrire ces principes dans leurs statuts et se déclarer comme telles auprès des pouvoirs publics (inscription au registre du commerce et des sociétés tenu par le greffe du tribunal de commerce) ;
La loi met également en place un agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale » (ESUS) plus restrictif : seules certaines entreprises de l’ESS peuvent y prétendre. Ce sont les entreprises qui :
- recherchent à titre principal une utilité sociale : elles ont pour objectif d’apporter, à travers leur activité, un soutien à des personnes fragiles du fait de leur situation économique ou sociale ;
- ce sont aussi les organisations qui « ont pour objectif de contribuer à la préservation et au développement du lien social, à la lutte contre les exclusions et inégalités sanitaires, sociales et économiques, ou au maintien et au renforcement de la cohésion territoriale » ;
- elles ont une rentabilité qui devra être affectée de manière significative par la recherche de cette utilité sociale (notamment pourcentage élevé de charges d’exploitation liées à l’activité d’utilité sociale) ;
- ont une politique de rémunération encadrée : la moyenne des cinq salaires les plus élevés ne pourra pas être supérieure à sept fois le SMIC ou la somme moyenne versée, y compris les primes, au salarié ou dirigeant le mieux payé n’excédera pas, sur une année et pour un temps complet, dix fois la rémunération annuelle d’un salarié au SMIC ou au salaire minimum de branche si ce dernier est plus élevé.
Sont agréées de droit (mais doivent respecter les critères pour être entreprises de l’ESS) les entreprises de l’insertion par l’activité économique et du travail protégé (emploi des personnes handicapées).
Le principal intérêt de cet agrément est de constituer une clé d’accès à l’encours des fonds d’épargne salariale solidaire. Il peut aussi permettre d’accéder à des marchés publics réservés, lorsque la collectivité en a décidé ainsi. Ainsi cet agrément permet de financer des modèles économiques particulièrement exigeants dans de nombreux domaines (habitat très social, préservation solidaire des surfaces foncières agricoles, maintien des solidarités territoriales par les circuits courts de production-consommation, etc.). L’objectif de cet agrément est également d’inciter les financeurs privés à s’orienter vers des ce type d’entreprise afin de donner du sens à leur investissement. Pour cela, ils bénéficient d’une fiscalité avantageuse (réduction de 18% pour l’impôt sur le revenu et 50% pour l’impôt sur la fortune).
LE FINANCEMENT
Le financement des organisations de l’ESS est un enjeu important pour le développement du secteur ce qui a mené ces dernières années à l’émergence d’un financement spécifique.
Les financeurs publics
Les financeurs publics sont des partenaires structurants du développement des entreprises de l’ESS, notamment pour les associations où ils peuvent représenter jusqu’à 50 % de leur financement. L’État et les collectivités locales restent indispensables pour financer certaines structures, d’autant plus qu’elles rendent un service à la société. Elles sont ainsi rémunérées pour leur prestation comme les entreprises d’insertion, ou encore d’accompagnement social par le biais de subventions. Les subventions publiques sont donc moins une charge qu’un investissement sociétal dont il est possible de mesurer le retour sur investissement. Cependant, la composition des financements publics connaît une inversion : la subvention cède la place à la commande publique. Les raisons sont multiples : une réglementation européenne favorable à la libre concurrence, l’absence de règle nationale sur le recours à la subvention, une pratique frileuse de la subvention par des collectivités territoriales très soucieuses de se protéger de tout contentieux.
Pour distinguer clairement la subvention des contrats de la commande publique, l’article 59 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a donné une définition légale de la subvention. Sont ainsi considérées comme des subventions « les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent ». La circulaire du 29 septembre 2015 dite aussi circulaire « Valls » va renforcer et sécuriser davantage la distinction entre subvention et commande publique Ainsi, quand il s’agit de commander une prestation, rémunérée par un prix, c’est la mise en concurrence au moyen d’un marché public qui sera privilégiée tandis que lorsqu’il s’agit de financer une initiative privée non lucrative qui répond à un besoin constaté par la puissance publique, la subvention sera plus appropriée.
Aux cotés de l’Etat et des collectivités locales, les organisations financières publiques ont un poids décisif dans le financement de l’ESS. On retrouve principalement la Caisse des Dépôts ainsi que la Banque Publique d’investissement.
La Caisse des dépôts (CDC), est un acteur historique du financement de l’ESS et ainsi consacré en 2016 140 millions d’euros par an d’engagements dont 50 millions sur fonds propres pour structurer le secteur, accompagner et financer des projets. Elle intervient soit directement (Terre de liens, SOLIFAP…), soit indirectement à travers sa participation au capital des investisseurs (IDES, SIFA, Comptoir de l’innovation, Phitrust, coopératives régionales telles que PARGEST, Transméa ou Autonomie & solidarité…) ou de Bpifrance Participations et Bpifrance Investissement. Elle finance également de nombreux réseaux d’accompagnement (dispositifs locaux d’accompagnement, France Active…) et de nombreuses têtes de réseaux ou think tanks du secteur (Avise…).
La Caisse des dépôts et Bpifrance proposent en complément des financements spécifiques à l’ESS comme un fonds d’innovation sociale (FISO) doté de 20 millions d’euros (en 2014) et qui octroie, pour financer des projets socialement innovants, des avances remboursables et des prêts à taux zéro dans certaines régions.
Bpifrance aurait ainsi accompagné 958 entreprises de l’ESS en 2014 et engagé plus de100 M€ à travers ses financements et garanties, selon le rapport de l’Assemblée Nationale de 2015.
Les banques
Les banques financent également le secteur par le prêt mais par méconnaissance ou par volonté de limiter les risques, ceux-ci concernent principalement les grandes structures associatives, du secteur sanitaire et médico-social par exemple. Ainsi, de nombreuses structures de l’ESS rencontrent de vraies difficultés d’accès au crédit bancaire ce qui peut mener certaines à disparaître. En effet, la taille des projets, la situation économique des porteurs, la capacité limitée d’apport, l’insuffisance des garanties, le manque de visibilité et parfois le manque de rentabilité de ces entreprises peuvent les exclure des critères exprimés par les banques. C’est la raison pour laquelle certaines banques – souvent des banques coopératives ou mutualistes – se sont spécialisées dans le financement des entreprises de l’ESS comme le Crédit coopératif ou la Nef, qui ont développé une connaissance précise de leur fonctionnement pour adapter leurs financements aux besoins de chacune des structures selon leur spécificité.
Fin 2015, le Crédit coopératif présente un encours de crédit de 12 milliards d’euros majoritairement prêtés à des entreprises sociales et solidaires, aux secteurs et statuts variés. Son capital est entièrement détenu par ses clients sociétaires – 300 000 clients, constitués de personnes morales et particuliers –, représentés lors des assemblées générales et associés aux décisions de l’entreprise, notamment la création de nouveaux outils financiers. Avec le développement du secteur, de plus en plus de banques traditionnelles se tournent progressivement vers les petites et moyennes entreprises de l’ESS et font de cette clientèle un axe commercial important. BNP Paribas, la Banque postale et bien d’autres établissements ont développé récemment un service consacré à l’entrepreneuriat social.
Les financeurs et investisseurs spécialisés
En raison de leurs spécificités les organisations de l’ESS sont souvent mal comprises, car elles ne rentrent pas dans les schémas habituels d’analyse des financeurs, principalement car leur but n’est pas la recherche d’un profit maximal et ne présentent alors qu’un niveau de fonds propres limités. C’est ainsi que des acteurs spécialisés dans ce secteur se sont développés.
L’association France Active est un acteur primordial du financement de l’ESS. Depuis 1988, elle se donne pour mission de « mettre la finance au service des personnes, de l’emploi et des territoires » et de contribuer à la création d’emplois dans les territoires. Plus spécifiquement, face aux difficultés rencontrées par les entreprises de l’ESS désireuses d’accéder aux circuits de financement traditionnels de l’économie (financement bancaire et investissement), France Active s’est fixé pour objectif de donner aux organisations de l’ESS les mêmes chances d’accéder aux financements que les entreprises ordinaires. En 2016, le réseau a accompagné et financé en France plus de 7 360 entreprises de l’ESS, pour un montant de 269 millions d’euros, contribuant à créer plus de 35 600 emplois, tous secteurs confondus.
Aux cotés des sociétés d’investissement classiques orientées vers la réalisation de plus-values à court terme sur des modèles à haute rentabilité, émergent d’autres investisseurs solidaires qui recherchent plutôt un investissement long et l’obtention d’une rentabilité mesurée.
L’Institut de développement de l’économie sociale (IDES) a permis d’introduire la logique de capital investissement pour les entreprises sociales et solidaires. Créé en 1983 par les institutionnels de l’économie sociale désireux d’aider financièrement d’autres entreprises du secteur et par la Caisse des dépôts, l’IDES utilise en particulier le titre participatif pour intervenir dans les coopératives. Il s’agit d’une valeur mobilière qui permet de renforcer les capitaux propres de l’entreprise sans modifier la structure du capital.
Récemment, de nouveaux fonds d’investissement solidaires, dits d’impact investing commencent à se structurer. Ces fonds regroupent souvent d’anciens investisseurs ou entrepreneurs qui souhaitent donner du sens à leur épargne et accompagner le développement de nouveaux modèles économiques, capables de lier viabilité économique et utilité sociale ou environnementale. Ces fonds importent les méthodes et l’exigence du capital-risque classique tout en les adaptant aux entreprises de l’ESS car ils ont pris conscience de leur caractère innovant, robuste et prometteur. Enfin, ces fonds s’impliquent davantage, comme PHITRUST qui propose d’accompagner ces entreprises par la mise en relation de professionnels de haut niveau qui les guident dans la durée. Ils sont choisis en fonction de leur expertise et leur secteur d’activité, et avec lesquels les dirigeants des ESS n’auraient peut-être pas pu entrer en contact dans d’autres circonstances.
En complément des financeurs institutionnels publics ou privés, les particuliers s’intéressent chaque jour davantage à l’ESS et cherchent à s’y impliquer. À côté du bénévolat, qui est une ressource précieuse pour les organisations de l’ESS (on estime à plus de 13 millions le nombre de bénévoles en France en 2016 selon Recherches et Solidarité), les individus disposent de plusieurs moyens pour investir financièrement dans le secteur. La forme la plus classique est le don. La collecte de don peut être structurée et innovante, pour atteindre des montants considérables et permettre ainsi à la structure de mener à bien sa mission sociale. La levée de fonds privés s’illustre à travers différentes stratégies d’appel au don ou encore l’organisation d’événements solidaires comme la Tournée des enfoirés qui a permis de récolter près de 20 millions d’euros en 2016 au resto du cœur.
Il est également possible pour les particuliers de devenir épargnants solidaires en allouant leur épargne au service de projets économiques utiles à la société tout en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse.
Le particulier peut par le biais de son entreprise souscrire à un fonds solidaire. Depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008 qui oblige toute entreprise à proposer dans tout plan d’épargne d’entreprise, un fonds investi dans des entreprises solidaires, les encours sont passés de 500 millions d'euros en 2008 à 9,76 milliards en 2016.
Il est également possible de passer par une banque ou une mutuelle d’assurance : les particuliers peuvent souscrire à des produits de placement financiers (assurance-vie, fonds commun de placement ou société d’investissement à capital variable) qui ont vocation à financer des entreprises sociales et solidaires. Ils peuvent aussi souscrire à un produit de partage (livret d’épargne solidaire, organisme de placement collectif en valeur mobilière solidaire) et donner alors au moins 25 % de leur rémunération à une association de leur choix.
L’association Finansol a pour but de promouvoir « la solidarité dans l’épargne et la finance ». Pour ce faire, elle a créé un label qui distingue, depuis 1997, les placements d’épargne dits « solidaires » : actionnariat solidaire, livrets ou fonds solidaires proposés par les banques ou mutuelles d’assurance et fonds solidaires d’épargne salariale.
Celui-ci garantit le financement d’activités utiles sur les plans sociaux et environnementaux et atteste l’engagement de l’intermédiaire financier à donner une information fiable sur le placement labellisé et les activités financées. Il existe à ce jour 140 produits d’épargne solidaire labellisés Finansol.
Enfin, les individus peuvent devenir investisseurs lorsque la forme juridique le permet, en souscrivant directement au capital d’une entreprise solidaire d’utilité sociale. Ils peuvent également par le biais des plates-formes Internet dites de « crowdfunding » (financement par la foule) donner, prêter ou investir en fonds propres dans des projets choisis et suivis à distance.
La question du financement des entreprises de l’ESS est moins une question de volume que d’ajustement de l’offre de financement aux besoins. Néanmoins le segment de l’amorçage (stade du premier apport en capital d’une entreprise) ou la recherche-développement indispensable pour que l’ESS continue de produire de l’innovation peinent à trouver les financements eu égard au niveau de risque associé.
POUR ALLER PLUS LOIN
Créer une entreprise de l’économie sociale et solidaire avec ses élèves :
http://www.ressourcess.fr/monessalecole/
SITOGRAPHIE
Conseil National des Chambres Régional de l’Economie Sociale
http://www.cncres.org
ESSpace des acteurs de l’économie sociale et solidaire http://www.esspace.fr/index.html
BIBLIOGRAPHIE
Titre | Éditeur | Auteur | Année |
---|---|---|---|
L’économie sociale et solidaire | Edition Points | Jean-Louis LAVILLE | 08/2016 |
L'économie sociale et solidaire | PUF | Géraldine LACROIX, et Romain SLITINE | 11/2016 |
L’économie sociale d’hier à aujourd’hui | Ellipses | Michel AUDIGIER | 10/2014 |
L’économie sociale et solidaire | SCEREN | Revue n° 149 Economie et Management | 10/2013 |