L'inflation (1)

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Par Jean-Pierre TESTENOIRE Actualisée par Marie BERRAH , Bahija BOUZERDA,

L'inflation est le résultat d’un déséquilibre sur le marché des biens et services, c'est-à-dire entre l’offre et la demande, qui se manifeste par une hausse durable du niveau général des prix. Cette hausse se traduit par une baisse de la valeur de la monnaie qui perd ainsi une partie de son pouvoir d’achat. Il faut distinguer l’inflation de la déflation, de la stagflation et de la désinflation :

  • la déflation représente un processus auto-entretenu de baisse générale du niveau des prix, à la production comme à la consommation La délation est un signal de récession (contraction de l’activité économique et du PIB) qui se traduit par la baisse de la production et des revenus (comme au Japon de 19994 à 2003 par exemple) ;
  • la stagflation est une situation caractérisée simultanément par la stagnation de la production (faible croissance économique et forte augmentation du chômage) et de l’inflation (comme en France entre 1975 et 1983 par exemple) ;
  • la désinflation est une diminution du taux d’inflation, c'est-à-dire par la baisse du taux de croissance des prix : les prix augmentent toujours, mais à un rythme moins important qu’auparavant. (Figure 1).
Figure 1 - La désinflation en France - Glissements annuels de l'indice des prix à la consommation (IPC) et de l'inflation sous-jacente (ISJ) - Source : Insee - indices des prix à la consommation
  • on cite parfois l’hyper inflation, caractérisée par la croissance extrêmement rapide du niveau des prix (comme en Allemagne en 1923 par exemple). (1)

Les causes de l’inflation

On distingue généralement trois grandes familles d’explication à l’inflation : Des explications conjoncturelles, des explications structurelles et des explications monétaristes.

Les explications conjoncturelles

Il s’agit ici d’expliquer la définition initiale (déséquilibre entre l’offre et la demande) en analysant le rôle exercé sur les prix par l’offre puis par la demande. Ces explications sont appelées conjoncturelles car liées à un état provisoire du marché.

L’inflation par l’offre est liée au comportement des entreprises :

  • Soit volontairement, c'est-à-dire en fonction de décisions stratégiques, pour augmenter le taux de marge (et donc accroître le profit de la firme) par la hausse du prix de vente du produit final, ou par l’introduction de nouveaux produits en montée de gamme. Ce comportement suppose cependant que le produit vendu dispose d’un avantage distinctif par rapport à la concurrence (en termes de qualité, d’image de marque, ou de services spécifiques liés au produit).
  • Soit sous la contrainte de l’accroissement des charges, liées au prix des matières premières importées (pétrole par exemple), ou au cours des devises dans lesquelles sont libellées les importations nécessaires à la production (importations facturées en $). C’est ce qu’on appelle « l’inflation importée ».

D’autres augmentations de charges peuvent conduire à la hausse du prix de vente du produit final, telles que l’accroissement du taux d’intérêt, l’évolution du progrès technique (qui renchérit le coût de l’investissement) soit enfin en raison de l’augmentation du coût du travail ou de la fiscalité. L’inflation par la demande : Une augmentation rapide des revenus (salaires, ou transferts sociaux) entraîne un accroissement rapide de la demande. Compte tenu du délai nécessaire pour adapter le volume de l’offre au niveau de la demande, l’augmentation des prix permet d’épuiser la demande surabondante. Une hausse de la demande entraîne mécaniquement une hausse des prix, la demande étant une fonction décroissante des prix (voir figure 2).

Fichier:Infla2.png
Figure 2 - La liaison entre les prix et la demande

Les explications structurelles

Il s'agit ici de rechercher les causes structurelles c'est-à-dire durables en fonction de l’organisation des structures du marché ou des mécanismes de répartition.

  • En terme de structure de marché, on constate ainsi que des marchés très concentrés (oligopoles, ou oligopoles restreints) favorisent les ententes illicites entre les producteurs (ou offreurs), pour se partager le marché à des prix minima convenu à l’avance, sans respecter les conditions de concurrence (voir art 101 et 102 du TFUE), comme pour le marché de l’eau en France par exemple à la fin des années 1980. D’autre part, des situations de monopoles publics favorisent l’augmentation des prix, les clients captifs (les ménages le plus souvent) ne disposant pas d’alternative sur le marché (SNCF, EDF).
  • En terme de mécanisme de répartition, le mécanisme du Smic peut contraindre les entreprises à faibles gains de productivité à augmenter le prix final si la hausse du Smic est supérieure aux gains de productivité de l’entreprise. Dans le même esprit, le mécanisme des conventions collectives a pu être accusé de favoriser l’inflation, par la contagion des augmentations salariales entre des entreprises de la même branche mais à gain de productivité différent.

Illustration

Soit deux entreprises X et Y ayant signées le même accord (convention collective, accord de branche etc..). On suppose que ces entreprises n’utilisent qu’un seul facteur de production, le travail. L’entreprise X a réalisé un accroissement de sa productivité de 5%, et l’entreprise Y n’a augmenté sa productivité que de 1%. Si la convention conclut à une hausse des salaires de 3%, l’entreprise X peut augmenter la masse salariale (et accroître son taux de marge de 2 points) sans augmenter ses prix. A l’inverse, pour augmenter la masse salariale l’entreprise Y est obligée d’accroître ses prix (sauf à réduire sa marge bénéficiaire). Dans le premier cas la mesure n’est pas inflationniste; la même mesure crée de l’inflation dans le second cas.

NB : La productivité en valeur étant représentée par le rapport entre la valeur produite et la valeur des ressources utilisées, l’augmentation de la productivité signifie que l’entreprise produit avec moins de ressources. Le raisonnement est le même pour la productivité en volume.

Les explications monétaires

Les mécanismes de création de moyens de paiement (dont la monnaie, mais une entreprise peut payer un fournisseur avec une lettre de change qui n’est pas de la monnaie) sont aussi responsables de l’inflation. Lorsqu’un établissement financier (une banque) accorde un prêt à une entreprise –pour réaliser un investissement - elle crédite le compte de l’entreprise. La firme dispose alors de moyens de paiement supplémentaires, mais la richesse produite n’a pas encore augmentée. L’inflation naît alors de ce décalage entre la quantité de monnaie en circulation et la quantité de biens ou services disponibles.

Illustration

A l’instant où le prêt est accordé, la masse monétaire augmente (ensemble des moyens de paiement en circulation, c'est-à-dire la monnaie liquide, mais aussi scripturale, y compris les livrets d’épargne et les dépôts iliquides à terme tels que les plans d’épargne logement des ménages par exemple) alors que la richesse produite n’a pas encore augmentée (l’entreprise n’a pas encore investi, c’est à dire n’a pas encore acheté les machines, payé ses fournisseurs ni payé le travail). Il y a donc provisoirement plus de monnaie pour la même quantité de bien en circulation. Ce mécanisme de « création monétaire » (appelé « crédit à l’économie ») explique que le prix des biens augmente ou que la valeur de la monnaie tend à diminuer. Lorsque l’entreprise met en oeuvre son investissement elle produit de nouvelles richesses et rembourse la banque. Ce mécanisme de « destruction monétaire » permet de détruire la monnaie créée. Au final, la richesse réelle (c'est-à-dire produite) a augmenté, mais un peu moins que la masse monétaire, compte tenu du décalage entre le prêt et son remboursement total. En ce sens on a pu donc rendre les banques responsables de l’inflation.

Ainsi pour Milton Friedmann « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire».

Cette analyse débouche sur la responsabilité de l’État interventionniste dans le mécanisme de l’inflation. En effet, depuis les années 1975, la France connaît une situation de déficit budgétaire. Pour combler ce déficit l’État fait appel à un financement extérieur, notamment par les banques dans les années 1970, ce qui favorise donc l’inflation. C’est pourquoi les théories monétaristes rejoignent ici certaines théories d’inspiration libérale, partisane du « moins d’État ». Réduire l’inflation revient alors à réduire les besoins de financement de l’État, donc à réduire ses dépenses ; donc à réduire son périmètre d’activité.

La mesure de l’inflation

L’indice des prix

'indice des prix à la consommation (IPC) est l'instrument de mesure de l'inflation. Il permet d'estimer, entre deux périodes données, la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages. Il est basé sur l'observation d'un panier fixe de biens et services, actualisé chaque année. Chaque produit est pondéré, dans l'indice global, proportionnellement à son poids dans la dépense de consommation des ménages. La première génération d'indices date de 1914. Au cours du temps, la couverture de l'IPC s'est élargie tant au plan géographique qu'en termes de population représentée ou de consommation couverte. L'IPC base 2015 constitue la 8e génération d'indice. Il est entré en service en janvier 2016. Depuis le début des années 1990, l’inflation est maîtrisée en France (figure 3), avec un taux moyen inférieur à 2% par an (2). Les autorités publiques doivent désormais éviter son retour; et non plus lutter pour faire baisser la hausse des prix, comme dans les années 1980.

Figure 3 -Évolution des prix à la consommation de 1950 à 2016

Les limites de l’indice

On adresse généralement trois types de reproche à cet indice : sa représentativité, la répartition de sa composition, et son contenu même.

  • Comme tout indice, cet indicateur est synthétique. Il doit donc représenter l’ensemble des situations de consommation pour l’ensemble des ménages, alors que la réalité n’est pas uniforme. Il y a peu de rapports entre la consommation du jeune cadre supérieur célibataire (qui consommera plus de repas au restaurant ou de forfaits de ski par exemple) et la consommation d’un couple d’employés urbain avec deux enfants (qui proportionnellement consommera plus de repas à domicile ou des vacances moins onéreuses que les sports d’hiver). Or l’indice des prix des biens et services consommés est le même dans ces deux cas distincts.
  • D’autre part la pondération des postes budgétaires peut être contestée. Le poids du loyer n’est pas le même si on est locataire ou propriétaire, si on est jeune (a priori locataire) ou plus âgé (plus souvent propriétaire).
  • Enfin la production d’un double indice (avec ou sans tabac) fait perdre à cet indicateur son aspect synthétique. Pourquoi pas un indice avec ou sans alcool, avec ou sans cholestérol ? La soustraction du tabac dans l’indice des prix est liée à la volonté de l’État de fortement augmenter le prix du tabac pour des raisons de santé publique bien compréhensibles. Mais il n’empêche que cette hausse existe et que l’indice hors tabac ne la mesure désormais plus.

Inflation et pouvoir d’achat

Il faut distinguer l’augmentation des prix (l’inflation) de l’augmentation du « coût de la vie». Pour l’Insee, «L’inflation est la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Elle doit être distinguée de l'augmentation du coût de la vie. La perte de valeur des unités de monnaie est un phénomène qui frappe l'économie nationale dans son ensemble, sans discrimination entre les catégories d'agents. En revanche, l'augmentation du coût de la vie affecte la répartition fonctionnelle et personnelle des revenus, sans toucher à la relation entre la masse monétaire et le produit national définissant le pouvoir d'achat de la monnaie. » (3)

Précision

L'indice des prix à la consommation (IPC) mesure l'inflation en agrégeant les évolutions de prix d'un très grand nombre de biens élémentaires, pondérées par leurs parts dans la consommation globale des ménages. Indépendamment de l'IPC, l'Insee recueille également les opinions personnelles sur l'inflation (OPI), exprimées par les consommateurs dans le cadre de l'enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages.

Ces deux mesures divergent fortement. Depuis 2004, l'OPI fluctue en moyenne six points au-dessus de l'inflation mesurée par l'IPC. Les opinions personnelles sur l'inflation présentent par ailleurs une très forte dispersion : des niveaux d'inflation perçue supérieurs à 20 % par an ne sont pas rares. Il est courant d'y voir un effet du passage à l'euro. Privés de leurs repères habituels, les consommateurs auraient développé une perception des prix largement déconnectée de leur évolution effective.

Mais deux éléments relativisent cette thèse. D'une part, elle ne peut expliquer que le phénomène soit aussi durable : il aurait dû s'estomper avec l'accoutumance progressive à la nouvelle monnaie. D'autre part, on dispose d'informations sur la perception des prix pour quelques biens élémentaires, or elles s'avèrent relativement cohérentes avec les évolutions des prix de ces biens au sein de l'IPC. L'OPI aurait donc bien des bases objectives.

D'autres explications de l'écart OPI/IPC sont envisageables. La perception des prix élémentaires n'aurait pas de biais systématique mais, contrairement à l'IPC fondé sur les parts budgétaires, les consommateurs donneraient un poids plus important aux biens à forte fréquence d'achat, et ils surpondéreraient ceux dont les prix sont en hausse. Un résultat classique de psychologie économique est en effet que les agents sont plus affectés par les nouvelles défavorables que par les nouvelles favorables. Si on combine ces deux dernières hypothèses, supposer une pondération deux fois plus importante pour les biens dont les prix augmentent permet de rendre compte de l'écart moyen entre OPI et IPC.

C’est en jouant sur cette ambiguïté que des grands distributeurs sont partis en guerre contre la sincérité du mode de calcul de l’indice des prix de l’Insee.


Figure 4 - Comparaison entre l'inflation perçue par les ménages et l'inflation réelle

Pour aller plus loin…

Webographie

Source :

(1) http://alternatives-economiques.fr/1922-1924--l-hyperinflation-allemande_fr_art_69_6949.html

(2) https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1473

(3) http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES447A.pdf

INSEE - Les grands indicateurs à jour

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569398?sommaire=2587886&q=INDICATEUR

Définition et concepts de base

Le pouvoir d’achat : du franc à l’Euro, tableaux et calculs

http://www.insee.fr/fr/themes/calcul-pouvoir-achat.asp

Méthodologie de l’indice des prix

https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/s1308

Évolution des niveaux de vie (1996-2005)

http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/ecofra07d.pdf

Inflation 2013 par pays/région

http://fr.inflation.eu/taux-de-inflation/ipc-inflation-2013.aspx

Taux d’inflation harmonisé en Europe

http://fr.global-rates.com/statistiques-economiques/inflation/indice-des-prix-a-la-consommation/ipch/zone-euro.aspx

Pour comprendre le prix du pétrole et bien d'autres points ....

http://unctad.org/SearchCenter/Pages/results.aspx?sq=1&k=Price%20Evolution

http://www.oecd.org/statistics/headline-data.htm

Sur Milton Friedmann

http://www.economie.gouv.fr/facileco/milton-friedman

Sur l’analyse monétariste

http://www.melchior.fr/notion/monetarisme

Bibliographies

Titre Éditeur Auteur Dates
Inflation et système monétaire Agora Press Pocket Milton Friedamnn 01/03/1991
Inflation et désinflation Edition Repères collection Poche P. Bezbakh 19/05/2011
La monnaie et ses mécanismes Edition Repères collection Poche P. Plihon 07/05/2013
Monnaie, banque et marché financiers Pearson F. Mishkin 13/12/2013
Après la récession, inflation ou déflation ? Regard sur l'économie incertaine Eyrolles Pierre Sabatier et Jean-Louis Chambon 16/01/2014
Problèmes économiques N°3104 - 2015, année de la déflation ? La Documentation française La Documentation française - Première quinzaine 02/2015